La filière crabe
La pêche du crabe de mangrove est restée une activité de pêche secondaire destinée à la consommation à l’intérieur de Madagascar jusque dans les années 1980. Les conditions de pêche dans les zones vaseuses de mangrove ont pu lui valoir un certain dénigrement des pêcheurs par rapport à d’autres ressources exploitées plus réputées (crevettes, poissons…). Elle s’est vraiment développée dans le nord-ouest du pays entre la baie de la Mahajamba et le Cap Saint-André dans les années 1980 puis dans le reste du pays en réponse au développement d’un réseau commercial de collecte tourné vers l’exportation.
REFRIGEPECHE-OUEST a été la première société exportatrice à se lancer dans l’achat de crabes auprès des petits pêcheurs dans la région de Mahajanga à partir de 1984. Dans les années suivantes, la société a développé son propre réseau de collecte par voie maritime directement sur les lieux de pêche, et à commencer à exporter des crabes congelés (entiers ou en morceaux) vers la Réunion en 1987 avec un objectif de 1000 t/an. Afin d’augmenter la production, elle a équipé dès 1988 huit groupements de pêcheurs (soit près d’une centaine de pêcheurs) de la région de Mahajamba, Boeny, Kompasy et Namakia en pirogues et en balances à crabes (une dizaine par personne). A cette période, la société PECHE-EXPORT a également commencé la collecte de crabes à destination du marché national.
Les exportations sont restées modestes (de l’ordre de 1000 t/an) jusqu’à la fin des années 2000. La filière connaît alors un regain d’intérêt principalement pour le marché à l’export du crabe cuit congelé. Près de 400 villages pratiquaient alors la pêche au crabe d’après l’enquête-cadre nationale réalisée en 2011-2012.
Les années 2013-2014 marquent une nouvelle évolution à la fois en termes de marchés, d’exploitation halieutique, et de gestion réglementaire de la pêcherie. L’exportation de crabes vivants est alors devenue le marché dominant, majoritairement à destination de la Chine, avec un prix à l’achat et l’export plus élevé que celui des produits congelés traditionnels, ce qui a incité une forte croissance de la pêche et du réseau commercial. Même si les statistiques disponibles ne reflètent probablement qu’une partie de l’activité, les captures ont été multipliées par un facteur 5 à 10 par rapport à la décennie précédente. Le nombre de pêcheurs de crabes reste mal connu.
L'écologie du crabe de mangrove
Le crabe de mangrove Scylla serrata (drakaka / mud crab) est une espèce commune présente tout le long de la côte Est africaine. L’espèce est également présente dans toute la zone indo-pacifique jusqu’aux Iles Hawaï. L’espèce vit sur des substrats vaseux et affectionne particulièrement les écosystèmes de mangroves et les herbiers vaseux voisins. Son cycle de vie est composé de deux grandes phases :
- La phase pélagique hauturière : Après la reproduction, les femelles migrent jusqu’à plusieurs km en mer pour relâcher leurs œufs, dont le développement nécessite une salinité plus importante que sur le littoral. Après une période d’incubation de 10 à 30 jours les œufs éclosent au stade zoea. La larve adopte un mode de vie pélagique et va alors dériver dans le milieu en fonction des courant marins. Elle passera par cinq stades zoea et se métamorphosera en mégalopea au bout de 21 jours en se rapprochant au fur et à mesure des eaux saumâtres côtières. Le recrutement du crabe de mangrove (passage de la phase pélagique à benthique) est encore mal connu à Madagascar ; il varie de manière saisonnière en fonction de plusieurs paramètres comme la pluviométrie et la décharge des fleuves.
- La phase côtière dans les habitats estuariens et de mangrove sensu stricto: Après la phase megalopea, la larve se métamorphose en crablet (<30 mm) puis en crabe juvénile (>30 mm) et adopte un mode de vie benthique (càd sur le fond) caractéristique du mode de vie des adultes. Les individus vivent de préférence dans les chenaux de mangrove et les forêts de palétuviers, où ils se déplacement au rythme des marées. Ils fréquentent des terriers où a notamment lieu l’accouplement et les mues.
Les zones de pêche
La présence de vastes forêts de mangroves (2360 km²) et de grands estuaires sur la côte ouest de Madagascar offre un fort potentiel pour la pêche du crabe de mangrove, en particulier dans les zones de :
- BATAN (Baie d’Ambaro et la Baie de Tsimaipaky),
- Mahajanga (Baie de la Mahajamba, Baie de Baly et Baie de Boeny),
- Morondava (Delta de la Tsiribihina et mangrove d’Ampataka)
- Morombe (Delta du Mangoky et la Baie de Befotaka)
La région de Maintirano (Melaky) présente également de fort recouvrement en mangrove, mais à cause d’un accès difficile et de son éloignement des grandes villes du littoral (Mahajanga et Morondava), l’exploitation du crabe de mangrove y est peu développée.
Dans le cadre du projet CORECRABE la zone 1 – Ambanja se limite à 2 baies contiguës: la baie d’Ambaro et la baie de Tsimiaipaka.
La zone intègre les districts d’Ambanja et d’Ambilobe. Cette zone recèle la deuxième plus grande mangrove de l’île qui s’étend sur environ 90 km et 28 000 ha et assemble les deltas des rivières Mahavany (nord) et Ifasy. La mangrove débute à environ 60 km au nord d’Ambanja. L’accès à la zone est possible par voie terrestre pendant la saison sèche mais est extrêmement difficile d’accès durant la saison humide.
La zone est exploitée depuis plusieurs années avec une pression de pêche relativement faible (comparée à Mahajanga). Cependant, il est probable que la collecte de crevettes s’y soit diversifiée vers le crabe ces dernières années. Connu pour ces ressources halieutiques importantes, la région est gérée depuis quelques années par le PAP BATAN.
Baie de la Mahajamba: cette grande baie est située à 130 km au nord-ouest de Mahajanga. Elle possède une des plus grandes mangroves fluviales de Madagascar (300 km²), mais qui es en voie de régression (-25% depuis 1970). L’accès depuis Mahajanga n’est possible que par voie maritime en saison des pluies. Il est très contraignant par voie terrestre pendant la saison sèche.
La baie est la principale zone de production de crabe de mangrove. La très forte pression de pêche, a grandement influencé la productivité qui est aujourd’hui plus faible au dire des pêcheurs de la zone.
Dans le découpage du projet, la zone de Soalala se trouve au sud de la ville de Mahajanga. Elle intègre les districts de Mitsinjo et de Soalala. La zone intègre 3 grandes zones de mangrove (le delta de la Mahavavy , la baie de Marambitse et la baie de Baly). La baie de Baly (zone de Soalala) longe la zone côtière occidentale de Madagascar. Les fleuves de KAPILOZA et ANDRANOMAVO sont les plus importants et remarquables dans la région. Ils se jettent respectivement dans le Canal de Mozambique et dans la Baie de Baly. La région est accessible par voie terrestre uniquement en saison sèche et par voie maritime toute l’année.
Dans le cadre du projet CORECRABE, la Zone 3 – Morondava rassemble une des plus grande zone de mangrove de Madagascar. Les recouvrements les plus importants sont situés à 100 km au nord de Morondava, à Belo-sur-Tsirihibina. Cette mangrove fluviale s’étendant sur 80 km de côtes. Cependant ça surface a régressée d’environ 20% depuis le début des années 2000 et atteint actuellement une surface de 28 000 ha soit 8.5% de la superficie des mangroves de Madagascar. Depuis 2017, une grande partie de ces mangroves sont inscrites aux sites RAMSAR
L’accès depuis Morondava est possible que par voie maritime en saison des pluies et très contraignant par voie terrestre. Cette zone de collecte est une des deux principales zones d’exploitation du crabe de mangrove sur la côte Sud-Ouest de Madagascar.
Situé à 250 km au nord de Tuléar et à 50 km au nord de Morombe, le delta du Mangoky comprend une mangrove fluviale de 130 km². La surface de cette mangrove a régressé d’environ 45 % au cours des années 1980. Elle est stabilisée depuis. L’accès à la zone se fait uniquement par voie maritime depuis Morombe (ou Morondava). Il existe des accès possibles en passant par la commune de Manja, mais les routes sont très peu praticables et peu sûres. Au sud de Morombe, se trouve la baie de Befotake qui présente une mangrove côtière de 30 km². L’accès se fait principalement par voie terrestre, mais certains villages éloignés ne peuvent être atteints que par voie maritime.
La zone de collecte de Morombe est une des deux principales zones d’exploitation du crabe de mangrove sur la côte sud-ouest de Madagascar (avec la zone de Morondava). Le delta du Mangoky est le principal secteur de collecte, mais est plus difficile d’accès que le sud de Morombe.
Les pratiques de pêches
Le crabe de mangrove est uniquement exploité par des petits pêcheurs à pied ou à l’aide de pirogues traditionnelles non motorisées. L’intervention de bateaux à moteur se situe uniquement au niveau de la collecte des crabes, afin de rejoindre les sites de débarquement peu ou non accessibles par route. Les modèles d’embarcations utilisés par les pêcheurs varient peu, il existe deux types principaux de pirogues en bois :
Les pirogues monoxyles creusées dans un tronc d’arbre, parfois surélevées de bordés et propulsées uniquement à la pagaie.
Les pirogues à balancier de type indonésien, creusés dans un tronc d’arbre ou constituées de planches, équipées d’un ou deux balanciers, et propulsées à la pagaie (ou à la voile, mais celle-ci n’est pas utilisée pour la pêche du crabe).
Les techniques de pêches traditionnelles:
Les techniques de pêches dites traditionnelles nécessitent des engins de pêches simples et peu coûteux. La pêche au crochet est la technique la plus répandue sur l’ensemble du territoire malagasy.
La pêche au crochet cible les crabes dans leur terrier : elle se réalise uniquement à marée basse au cœur de la mangrove et sur les plateaux littoraux. L’investissement en matériel est réduit au minimum, puisque l’engin est une simple gaffe, traditionnellement en bois mais aussi en fer à béton (diamètre 6 mm). Les pêcheurs peuvent employer plusieurs crochets de longueur et de forme différentes pour s’adapter à la profondeur et à la forme du terrier. La technique utilise l’agressivité du crabe en incitant celui-ci à pincer la gaffe introduite dans le terrier pour le remonter plus facilement. Elle comporte néanmoins un risque de blesser l’animal en cas de mauvaises pratiques, en lui arrachant une pince ou d’autres pattes, voire d’endommager le terrier par l’usage d’une petite pelle ou d’un sabre d’abattis. Cette technique nécessite une bonne condition physique pour se déplacer pendant plusieurs heures sous le couvert de mangrove dense.
La pêche à la raquette est une autre technique traditionnelle préférentiellement utilisée à pied dans les zones où la visibilité est suffisante pour apercevoir les crabes en déplacement, pendant la marée montante ou descendante, par exemple dans les zones d’herbier et en bordure de mangrove à très faible profondeur (« à hauteur de genoux »). Les raquettes sont constituées d’un morceau de filet tendu entre des branches recourbées ou dans un cerceau de fer.
Cette technique nécessite peu de compétences spécialisées puisque le pêcheur repère les crabes dans la zone intertidale et les capturent facilement avec la raquette. Elle est utilisée de préférence la nuit avec une lampe torche, souvent en complément d’une autre technique de pêche réalisée le jour.
La pêche à la ligne est pratiquée de préférence en pirogue dans les chenaux et les estuaires, à profondeur faible à moyenne, mais aussi à pied en bordure de mangrove. Le matériel utilisé est rudimentaire : il est composé d’une ligne en cordelette appâtée (avec de la murène séchée par exemple), reliée à un flotteur en matériau de récupération. C’est une des méthodes les plus utilisée puisqu’elle demande très peu de moyens. Les pêcheurs utilisant cette technique sont généralement équipés de plusieurs dizaines de lignes qu’ils vérifient très régulièrement pendant leur sortie. Lorsqu’un crabe s’est saisi de l’appât, la ligne est remontée doucement pour ne pas le faire lâcher prise puis le crabe est capturé à l’aide d’une raquette.
Les techniques de pêches « récentes »:
L’arrivée d’investisseurs étrangers dans les années 1980 a permis l’introduction de nouveaux engins et techniques de pêche au crabe de mangrove à Madagascar. Ces techniques ont été popularisées en raison de leur efficacité (plusieurs crabes pouvant être pêchés en même temps), de leur usage moins éprouvant que les techniques traditionnelles à pied, et du parfait état des captures. Ces techniques nécessitent néanmoins un investissement en matériel plus important que les techniques traditionnelles et l’usage quasi-systématique d’une pirogue.
La pêche à la balance se pratique dans les chenaux de mangrove et les estuaires peu profonds à bord d’une pirogue, voire exceptionnellement à partir de la berge. De forme cylindrique, la balance est construite filet avec cerceau en bois (lesté de pierres ou de coquillages) ou en fer à béton. Le piège consiste à appâter la balance avec du poisson le plus souvent (comme pour la ligne), puis à la descendre sur le fond à l’aide d’une cordelette reliée à un flotteur. Après 15 minute d’attente, une simple traction de la corde permet de redresser les parois de la balance, d’emprisonner le(s) crabe(s) éventuels à l’intérieur et de la remonter rapidement. La capture est donc plus systématique qu’avec la ligne. Une fois la nasse remontée, une raquette est utilisée pour vider la balance de ses captures. Le dispositif est rapide à mettre en place, ce qui permet au pêcheur de poser jusqu’à 20 ou 30 balances lors d’une même sortie, espacées de quelques dizaines de mètres.
Depuis quelques années, une variante appelée « double balance » ou « double garygary » est apparue dans le Nord-Ouest de Madagascar, dans le village d’Antsatsana (Ambilobe). La différence réside dans l’ajout d’un deuxième cerceau, augmentant ainsi la profondeur de l’engin, ce qui permet d’éviter l’échappement des crabes pendant la remontée de la balance. Son coût est néanmoins plus élevé que la balance « simple ».
La pêche à la nasse est une technique utilisée par les pêcheurs du Nord-Ouest de Madagascar. La nasse est de forme cylindrique à ouverture conique latérale. Comme les lignes et balances, elle est appâtée (avec un morceau de murène ou de raie par exemple) puis immergée dans les chenaux de mangrove et reliée à un flotteur. Les pêcheurs relèvent leurs nasses (jusqu’à plusieurs dizaines par sortie) après une à deux heures seulement, car les crabes sont piégés une fois qu’ils ont pénétré à l’intérieur (ce qui n’est pas le cas de la balance par exemple). Le matériel est fabriqué de manière artisanale à partir des fibres végétales disponibles localement.
Captures accessoires
Les crabes de mangrove peuvent aussi être capturés occasionnellement par d’autres engins ciblant les poissons côtiers ou les crevettes, comme le filet maillant, les sennes, les « vonosaha » (barrages côtiers) ou les « valakira » (piège d’estuaires en forme de V).